J’accuse
Oui je sais je ne suis pas l’actualité, je m’en félicite d’ailleurs, je n’aime pas l’actualité.
Je viens de voir “J’accuse“ de Polanski. Il est sorti il y a plus d’un an, reçu des prix lors des Césars il y a un an avec le tollé que l’on sait, les protestations, les manifestations.
Alors pourquoi en reparler, quitte à me fâcher avec des proches, alors que finalement “on“ est passé à autre chose. Et bien juste parce que je viens de le voir, c’est tout, à chacun son tempo.
Ça m’a fait plaisir, du bien, de le voir et pour plusieurs raisons.
La première c’est le sujet lui-même, l’affaire Dreyfus sur laquelle il me manquait encore quelques cases. Il m’en manquera sans doute encore maintenant, mais le rappel de certains faits historiques sont souvent nécessaires. Utiles. Cela ne fait pas obligatoirement un « bon » film, je pense là particulièrement à des films comme “ La rafle “ qui n’est pas un bon film pour moi mais qui permet à des spectateurs jeunes de “voir“ ou d’apprendre un fait historique qu’ils ignorent sans doute. Il y a une pédagogie là-dedans dont on ne peut nier l’impact.
Ensuite pour cette colère ressentie, cette boule au ventre liée à l’injustice, ce truc qui vous fait trembler, et qui me ramène toujours à “Z“ de Costa Gavras. 1969, j’avais 13 ans, peut être 14 quand je l’ai vu. Après avoir passé plus d’une heure la boule au ventre devant l’injustice et l’assassinat politique il y a ce moment jouissif où Jean Louis Trintignant, jeune procureur, inculpe tout l’état-major de l’armée. On a eu ces boules avec « Sacco et Vanzetti » (Giuliano Montaldo – 1971) , Midnight Express( Alan Parker- 1978), “ Au nom du père“ ( Jim Sheridan – 1993) lorsque la « justice » est au service des puissants, de la police, de l’armée, de l’argent. Ces films m’ont, nous ont marqué, avec des influences certaines sur nos manières de voir le monde, de réagir.
Indépendamment de ces côtés utiles ou formateurs, le film est bon je trouve. Pas original, certes, dans sa construction ou sa mise en scène, mais réussi en termes d’interprétation, Dujardin est quand même un sacré bonhomme, de décors, costumes, et surtout de lumière. Cela n’en fait pas un grand film, on est loin du « Bal des vampires » du « Pianiste » ou de «Chinatown », mais un bon film, le curseur étant juste appréciation personnelle, comme le reste d’ailleurs.
Deux remarques maintenant. Parler du passage sur l’article de Zola dans L’Aurore, le fameux « J’accuse ». A l’heure du rachat de la presse par les grands argentiers, la mainmise des groupes financiers sur « information », l’importance de la presse dans le passé laisse rêveur. Un article d’une grande plume et un gouvernement vacille, un procès se tient. Aujourd’hui plus de grandes plumes dans la presse, s’il en reste elles se consacrent à la littérature, ce qui est déjà pas mal. Mais le monde est las et les électrochocs autour de l’injustice fort difficiles à provoquer. « Les informations », les scandales, les révélations sont noyés dans une masse informe et indigeste, une bouillie numérique où il est devenu de plus en plus difficile d’en sortir une réaction collective. Ce passage dans le film fait froid dans le dos par ailleurs par les autodafés des œuvres de Zola par une foule en colère, criant son antisémitisme viscéral, dans le sens si bien ancré dans le fond de la tripe française de l’époque. Et nous n’étions là qu’en 1898…
Enfin et pour finir, je suis content d’avoir vu et aimé ce film, en réaction à la remarque qui m’avait été faite par une connaissance : « tu ne vas pas aller voir un film pédophile ? ». La violence du propos, la profondeur abyssale qu’il sous-entend m’avait laissé sans voix. Ce n’est sans doute pas pour rien que France Culture avait inventé une série de quatre émissions : Quatre questions pour se fâcher entre amis parmi lesquels il y avait : peut-on dissocier l’œuvre de l’homme. Aimer Céline, Picasso, Polanski et quelques autres pour leur talent lié à une ou plusieurs œuvres spécifiques sans soutenir tout acte de ces mêmes hommes, voire même l’ensemble de leurs œuvres. Pris globalement la question est en fait plus complexe que cas par cas. C’est comme « peut-on rire de tout ? – oui mais ça dépend avec qui. »
Alors prenons le cas Polanski. La première chose est l’absence totale de procès. Je ne rentrerais pas dans le détail historique des différentes plaintes, je ne suis pas avocat, ne connais pas les dossiers, et ai appris à me méfier de tout. Mais un procès et une condamnation sont une chose, le reste est lié à la présomption d’innocence.
Serait-il condamné cela changerait il mon regard sur ce film ou sur d’autres films que j’ai aimé de cet homme-là. ? Probablement pas. Mon opinion sur le bonhomme serait une chose, le souvenir de Chinatown, une autre.
Ayant travaillé un an avec Polanski, c’était sur le montage de Tess, j’ai compris, ressenti que j’avais affaire à un malade. De cinéma. Et à titre personnel de rien d ‘autre. Lorsque je parle de cette expérience professionnelle et que systématiquement on me regarde le sourire en coin en me demandant : Alors…il était comment ? il a fait des… (gestes , allusions, propos) j’ai envie de gerber. Ce qui me révolte, comme l’injustice dont je parlais au début de ce texte, c’est le lynchage. C’est la foule qui crie : à mort, salaud, coupons-lui les cheveux, brûlons les sorcières… etc. Les siècles sont remplis de ces lynchages qui ont vu tant de vivants, noirs, juifs, femmes soignant avec des plantes, femmes aimantes, tués par ce qu’on appelle quand ça nous arrange le peuple, ou la foule quand ça tourne mal. Oui de ça j’ai peur, et ne veut pas participer. Même si c’est un mec célèbre ou qui a du pognon.
Alors, je n’ai pas plus fait d’enquête de moralité sur des grands cinéastes dont j’ai adoré les films dans ma jeunesse (ou encore maintenant), que sur des grands écrivains dont j’adore les livres (Gary était-il un héros, et Cendrars ? et Malraux ? et Baudelaire ?, Rimbaud ? des hommes sans fautes ? ) . Et aimer un de leurs livres ou de leurs films ne me fait pas complice de quoi que ce soit. Il est un phénomène monstrueux dans sa radicalité : c’est la vitesse avec laquelle un être humain qui était certainement pleins de choses à la fois, père de famille, bricoleur, croyant, écrivain, photographe, cuisinier, ne devient plus qu’un : un monstre. Et plus que ça. Le reste a disparu. Il n’est plus qu’un monstre, l’ordure à fuir, à dénoncer. Et ceci est valable pour Polanski comme pour n’importe lequel taulard, ou soupçonné de quelque chose. Je ne parle pas de circonstances atténuantes là. Je soutiendrais toujours aussi les victimes, de viol, d’abus, de violences et autres. Cela est un autre combat et je ne crois participer en rien à une « culture du viol » ou autre abomination. Depuis 40 ans je condamne cette société machiste et l’oppression faite aux femmes depuis des millénaires. Et à ceux qui pensent que ça doit être compliqué dans ma tête, je dis oui parfois, souvent, c’est compliqué, désolé, et c’est par peur de la chose simple, tellement plus simple, d’hurler avec les loups.
Enfin dans le domaine de la justice et pour conclure, que cela soit pour Polanski ou pour d’autres, je dirais que refuser de retourner aux États Unis pour être jugé me parait relever du bon sens. Des condamnations et exécutions à mort qui se succèdent aux cas de Julian Hassange ( 175 ans de prison encourus) à Edward Snowden, ou à l’argent qui permet de « régler » les affaires sans savoir si c’est une reconnaissance de culpabilité ou un arrangement où chacun y gagne, qui pense à une justice équitable en Amérique ? Polanski n’est pas mon ami, je ne le trouve pas sympathique, et s’il est coupable d’actes qu’il soit condamné. J’ai bien aimé son film « Jaccuse », c’est tout.
Allez pour finir sur une note plus « positive » je vous invite une nouvelle fois à écouter un podcast de Thinkerview : Cédric Herrou. Quand un mec, quasi seul au départ, fait condamner l’état français, et lui fait rappeler même les fondamentaux de sa république. Comme ça fait du bien… un peu de justice !
https://www.thinkerview.com/cedric-herrou-partout-ou-necessite-fait-loi/
Hello Bibi, j’ai lu ton texte sur « j’accuse » avec grand intérêt, et comme tu recommandes l’écoute d’un podcast de france culture, je te recommande ( ou tu pourras éventuellement le recommander aux lecteurs intéressés ) un podcast de l’émission « fictions/le feuilleton », qui reprend en 5 épisodes la correspondance entre Dreyfus et son épouse, entre le moment de son accusation et son retour du bagne. C’est très émouvant de voir un peu l’envers du décor, et ça permet de nous éclairer un peu plus l’injustice qu’il a subit. En tout cas, comme toi, j’ai beaucoup apprécié le film et je n’ai pas une seule fois pensé à Polanski et ses mises en accusation dans sa vie privée.
Merci Jean Marc pour ton retour qui me fait bien plaisir; Et oui j’irais bien écouté ce podcast de la correspondance entre Dreyfus et sa femme. Merci à toi pour le conseil.
Avec le lien qui va bien, c’est encore mieux:
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/ecris-moi-souvent-ecris-moi-longuement-correspondance-dalfred-et-lucie-dreyfus-15-larrestation-et-le