Reconnaissance


Société / dimanche, janvier 31st, 2021

Reconnaissance

Le énième épisode qui oppose la société corse à l’état français, autour du retour des prisonniers corses, c’est-à-dire de l’application du droit français, pose à mon avis le problème de la reconnaissance. Première étape incontournable.

 Amusant d’ailleurs de voir dans le dictionnaire plusieurs sens à « reconnaissance », reconnait « sens ».

  • Action de reconnaître quelqu’un ou quelque chose
  • Action d’admettre qu’on est l’auteur ou le responsable d’une action
  • Action de reconnaître quelque chose comme légitime
  • Sentiment qui incite à se considérer comme redevable envers la personne de qui on a reçu un bienfait :Témoigner sa reconnaissance à quelqu’un.

En vingt ans de vie en Corse, j’ai pu constater du dialogue de sourds entre société corse et sommet de l’état. Échanges plus ou moins vifs, fausses promesses, déclarations fracassantes, déterrages de haches de guerre, faux calumets de la paix : quasiment rien n’a progressé. Statu quo. Et j’ai le sentiment que cela tient à une profonde absence de reconnaissance.

D’une histoire, d’une culture, d’un peuple.

En quoi la reconnaissance me semble primordial ?

Je prendrais l’exemple d’ Alan Turing. Certains la connaissent, d’autres non. Alan Turing est le mathématicien anglais, on peut parler de génie mathématique, qui a permis pendant la guerre de 39/45 de déchiffrer les codes des sous-marins allemands. Pour faire bref, il a plus ou moins sauvé le débarquement allié en même temps qu’il inventait les bases de l’ordinateur. A la fin de la guerre, au lieu d’être hautement récompensé, il est condamné et disgracié. Sa faute suprême ? Être homosexuel. Préférant la castration chimique plutôt que la prison, il se suicide en mangeant une pomme empoisonnée (il était fan de Blanche Neige).

En septembre 2009, le premier ministre britannique Gordon Brown présente des excuses au nom de la nation britannique, réhabilite le mathématicien avant qu’en décembre 2013, soit 60 ans plus tard, la reine Élisabeth, le gracie officiellement. En 2019 le gouverneur de la Banque d’Angleterre décide que le portrait de Turing illustrera le billet de 50 livres.

Certains diront que tout cela ne sert à rien, que l’injustice demeure, que le mal est fait. En fait la reconnaissance est importante. D’abord pour les membres de la famille, proches, etc, c’est une reconnaissance, tardive certes, mais la réhabilitation est importante. Par ailleurs, par ce geste, l’état britannique reconnait un scandale judiciaire et le drame vécu par les homosexuels. Ils modifient par là même, la position de la « communauté » homosexuelle dans leur pays. Le geste n’est pas anodin, et en résumé mieux vaut tard que jamais. Par ailleurs, un état qui reconnait avoir failli, est chose extrêmement rare. Et l’on peut constater des dégâts causés par l’absence de reconnaissance. Dans notre rapport avec l’Algérie, la reconnaissance d’une histoire (torture, harkis, pieds noirs, etc) , avec  la Turquie , la reconnaissance du  génocide arménien, et aussi la reconnaissance du drame palestinien, la Nakba, etc. Toutes ces non – reconnaissances nuisent à l’état du monde, à l’équilibre des sociétés. Et de manière durable.

Autre champ, autre histoire, la reconnaissance géographique. Je prendrais l’Irlande comme exemple. Géographiquement c’est une île, une et entière, avec une histoire qui lui est propre, mais aussi avec une unité géographique évidente. Une et indivisible pourrait-on presque dire. Il a fallu sans aucun doute l’incommensurable imagination de l’homme, ou folie plutôt, pour réussir à la couper deux, à la diviser, à diviser les citoyens entre eux, à les faire s’entretuer, à inventer de fausses histoires religieuses pour réaliser des projets coloniaux, financiers, d’intérêts purement politiciens. Il y a des choses comme ça, des pays, où la réalité vous saute aux yeux.

Quel rapport avec la Corse ? Tout d’abord qu’il faut connaitre, reconnaitre, faire reconnaitre une histoire. Il n’est pas normal, dans ce qu’on appelle encore l’école de la République, qu’un homme comme Pascal Paoli n’occupe pas la place qu’il devrait occuper. Si je n’étais pas venu habiter en Corse, je n’aurais rien su de ce personnage historique qui a toute sa place aux côtés d’autres personnages bien moins importants dans notre panthéon « national ». Ensuite il est intéressant de rappeler les conditions de « cession » par Gênesà la France de la Corse, sans l’avis des habitants évidemment. Des territoires conquis par la guerre on connait. Des territoires vendus, achetés, c’est moins fréquents. (enfin je ne crois pas, ou pas de cette manière) . Ensuite, et je n’ai de cesse de le rappeler aux visiteurs qui passent par chez moi, le tribut payé par la Corse lors des deux dernières guerres mondiales est énorme. Il est à la fois le fruit d’une injustice, (dérogation et obligation pour les pères de famille de s’engager), le constat d’un carnage (bons chasseurs, les corses ont été envoyés aux endroits les plus exposés), et la cause d’une crise démographique et sociale dont la Corse ne s’est jamais vraiment relevée.

Ensuite reconnaitre une culture, c’est à dire en premier une langue, plus proche du génois que du français évidement pour les raisons énoncées avant. Vous me direz il y a du progrès, le corse est enseigné à l’école, la réussite des classes bilingues est là pour le prouver. Mais c’est une  reconnaissance de la langue dans le cadre global d’une culture qui est nécessaire, et pas simplement d’une matière scolaire. Et de ce côté-là le travail est loin d’être fini.

Et si je parlais de géographie au début c’est pour rappeler que contrairement aux cartes de France dans les classes de mon école, la Corse ne situe pas sous Marseille (dans un petit carré) mais sous Gênes, Livourne, Pise, à la même latitude que Rome au Nord de la Sardaigne. La géographie est italienne, l’ile est méditerranéenne, et cette réalité  se doit d’être reconnu, comprise, étudié.

Après ce que chacun en fait en termes de désir d’indépendance, d’autonomie, de rattachement, de dépendance, etc. est affaire d’opinion. Mais la reconnaissance globale peut être largement partagée. Et elle est nécessaire au dialogue, à l’avancée d’un dialogue, car sans reconnaissance de l’autre, rien n’est entendu, rien n’est possible. C’est un peu pour moi le message de Mandela lorsqu’il est devenu président d’Afrique du Sud. L’histoire d’un pardon et d’une reconnaissance de l’existence de chacun à part entière. Sinon, comment se réconcilier ? Si je dis ça, c’est que je pense qu’il n’y a pas de reconnaissance sans reconnaissance mutuelle. Ce qui peut être fait ici en termes de reconnaissance ? Arrêter de s’arcbouter sur un phénomène de « vengeance » ou en tout cas de bras de fer permanent. Reconnaitre l’importance de toutes les forces vives vivant sur ce territoire qu’elles que soit leurs origines, comme le pratiquait si bien Pascal Paoli. Certes le premier boulot est du côté de l’état et de ses représentants, mais rien n’empêche d’engager aussi l’autre en parallèle. Il semble pour le moment que ni les uns ni les autres ne soient engagés dans cette voie. Et des citoyens comme moi regrettent les propos propices à jeter de l’huile sur le feu comme ceux de Macron à Ajaccio : « le meurtre du préfet Erignac «ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas» ou ceux de Valls quelques années plus tôt mais dans un autre contexte : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » L’un comme l’autre, situés au plus haut niveau des responsabilités de l’état, font peser sur nos espoirs de paix, de respect des menaces inutiles. Car quelque soit l’auteur des propos ils sont significatifs d’une attitude: celle du déni et du mépris. 

Il faut donc réussir à tourner une page… et que le droit et le bon sens dominent. Comment faire ? Une piste sera certainement d’aller chercher des soutiens « hors cadre », c’est-à-dire hors mouvement insulaire, des philosophes, des artistes, des chercheurs, des enseignants, des intellectuels, etc. capable de soutenir cette cause du retour, au nom du bon sens, de la justice et du respect du droit. Ici ne se joue pas un problème corso- corse, mais un problème de droits de l’homme qui concerne bien plus largement notre société. Et il est grand temps de le faire reconnaitre.

3 réponses à « Reconnaissance »

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