NATIONALISME


Société / dimanche, juillet 25th, 2021

 

 

Au lendemain d’élections qui ont vu la liste de Gilles Simeoni prendre les rênes de la région, il est apparu nécessaire ( même pour moi même) de faire un point sur ma vision du « nationalisme ». Et de son rapport à l’écologie.

 

1 HISTORIQUE

Il est habituel dans mes échanges de  me rappeler un historique nationalisme/ écologie comme si je l’ignorais, n’étant pas « d’ici », ou ne l’ayant pas vécu. Comme si je soupçonnais les militants corses d’ignorer Canjuers, Larzac, Plogoff, ou même Besançon avec les travailleuses de Lip,  dans lequel j’étais impliqué alors qu’eux peut être ailleurs. C’est une des caractéristiques sur lesquelles je reviendrais, du nationalisme, qui voudrait considérer l’extérieur « comme moins à même de comprendre ou de savoir ». Le fameux « tu n’es pas d’ici tu ne peux pas comprendre ».

Je connais l’histoire des boues rouges, je connais le mouvement contre l’implantation nucléaire à l’Argentella, etc. Mais je ne partage pas l’opinion sur la volonté écologique dans le mouvement nationaliste.

Dans une analyse par Francois Alfonsi : ( ARRITI, analyse d’un scrutin ) Jusqu’ici c’est le nationalisme depuis ses premières heures qui incarnait le discours écologiste en Corse, avant même d’ailleurs que n’existe en France le mouvement vert

Pour François , Mouna et René Dumont n’ont pas existé. Pour le premier que j’écoutais dans les rues de Paris avec son « des vélos pas des autos » dés 68, et pour le second, écolo bien avant sa candidature en 74, ( un an avant Aléria) depuis les années 60 contre le lobby nucléaire, contre la guerre en Algérie, et le colonialisme, contre l’industrie agro alimentaire,etc, etc. . Le nationalisme repose souvent sur la création de mythes, et la réécriture de l’histoire ?; Bon c’est de bonne guerre, tout le monde le fait , moi aussi ! 

D’une manière générale, je ne participe pas à cette vision écologique du mouvement nationaliste. Car aux opérations immobilières qui se sont succédé en Corse initiés par d’anciens leaders nationalistes, il s’est avéré que le nationalisme ne protégeait pas l’environnement, mais la bétonisation par « les autres ». Dès qu’ils l’ont pu, d’anciens nationalistes ont bétonné à tour de bras, mais ce n’était pas pareil, c’était pour eux. C’est la fameuse préférence nationale dont on reparlera plus tard. Cela n’enlève en rien à l’honnêteté ni au courage militant sincère de nombreux nationalistes de l ’époque. Et de l’efficacité de certains combats. Ils furent dévoyés par la suite et de mon point de vue pour des raisons intrinsèques au nationalisme et pas exclusivement à une dérive maffieuse.  A l’époque où je me suis installé en Corse (2000), je me rappelle d’une affiche du Levante : une carte de Corse avec des espèces d’enzymes gloutons qui arrivaient de l’extérieur pour la manger. Et oui le danger, les méchants, les profiteurs, les marchands sont à l’extérieur. Point de cela chez nous. La réalité est moins belle pourtant. Et plus cruelle.

 

2 LE FOND

Le nationalisme pour moi repose tôt ou tard sur une version raciste , ethniciste de la société. Vous trouverez ici plus long sur le sujet  avec Ioanna Kuçuradi philosophe turque.  https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2014-1-page-5.htm , passionnant où l’on s’aperçoit que nation et ethnie ont la même étymologie.

Cela se révèle sous divers aspects. Le premier dont j’ai pu être témoin, c’est cette faculté  à éliminer, faire partir, refuser, le nouvel arrivant. J’aimerais avoir les chiffres du nombre de personnes ayant voulu s’installer en Corse et partis sous diverses menaces. Là ou Ardèche, Ariège et autres régions , démographiquement déficitaires, mais  largement moins que la Corse accueillait depuis les années 70 des renforts de forces vives ( ah oui y avait des babas cool dedans , des cheveux longs, des fumeurs de pétards, mais pas que, et même certains d’entre eux ont fini par cultiver la terre et faire du fromage) , la Corse et son nationalisme n’en voulut pas. Pourquoi ?  Parce que le nationalisme, qu’il soit corse ou français repose sur : la Corse aux corses, la France aux français. (très instructif l’analyse des scrutins avec les scores FN et report natio entre 2 tours) Et qui est corse ? celui qui y est né, celui qui y a grandi, celui dont les parents sont nés ici, celui dont les ancêtres sont enterrés ici. Et bien je ne partage pas cette vision du monde, ni de la société.  C’est le départ pour moi du caractère profondément réactionnaire du nationalisme.

Certes issus de radicaux, mais les slogans sur nos murs depuis le début du mouvement nationaliste “arabi fora“  et “IFF“ sont symptomatiques du droit du sang, jamais ouvertement déclaré, mais en fait viscéralement intégré. J’en veux pour autre manifestation, et depuis des décennies, le 2 poids 2 mesures. Encore récemment, lorsque quelques adolescents corses, télécommandés sans doute par des têtes pensantes, allèrent se faire tabasser à la préfecture d’Ajaccio et en ressortirent le nez en sang : la moitié de l’exécutif était dans la rue. En même temps était abattu en pleine rue de Cargèse, un vieil arabe de trois balles dans le dos…Rien. Où était passé la communauté de destin ?

Le nationalisme, qu’il soit serbe, belge, allemand, français ou corse, ramène directement à une appartenance ethnique, sanguine. C’est mon point de vue, il est partagé par d’autres. Et pour moi c’est incompatible avec les valeurs « de gauche », ou “progressistes » que je défends.

 

 

 

3 Nationalisme corse et religion

Parlons donc du particularisme corse. De manière assumée, Gilles Simeoni, revendique l’appartenance à la culture judéo chrétienne. Pas uniquement son appartenance, l’appartenance de la Corse. Présence lors de processions, et baptême de grandes surfaces en présence du curé.

Vous me direz encore une fois, ce n’est pas pareil, tu ne peux pas comprendre, il y a cette part identitaire. C’est gentil mais si je peux comprendre. Et être contre. Simplement parce que je suis un laïc, et que je cois comme base fondamentale à un projet sociétal la séparation entre l’église, et l’état ou en l’occurrence le pouvoir. Et qu’il faut savoir ne pas mélanger les deux ou les associer . C’est ma vision personnelle d’être de « de gauche ». Je ne vais pas m’en excuser. Même si je pense plutôt en termes de « réactionnaire » et de « progressiste », mais même là les mots sont porteurs d’autres sens.

 

4 Un combat de coqs

A quoi a-t-on donc assisté depuis l’installation des nationalistes à la tête de la Région ? A un combat de coqs, stérile. Un bras de fer inutile avec le pays ami.  Le face à face Valls/Talamoni était de ce point de vue significatif. Chacun campant sur ses positions, fières du nationalisme de l’un ( la Constitution, la République) ou de l’autre ( l’indépendance, l’Histoire, le choix du peuple ! ) . Résultat ? Nul. Rapprochés les prisonniers politiques ? Augmenter l’autonomie de l’île ? Dessiner un projet insulaire différent ? Non. On a flatté son électorat réciproque et les dossiers sont restés bloqués. Alors sans doute était ce plus lié à une démarche ou une attitude d’un groupe plus qu’un autre et que Gilles Simeoni saura dans les 7 ans qui viennent mener sa barque d’une autre manière. Il faut l’espérer. Mais de mon point de vue c’est bien le nationalisme qui amène à l’arc-boutage sur ces attitudes et non le désir d’autonomie. Maintenant je ne suis pas en train de dire, “les nationalistes sont les méchants qui font tout mal“. La dernière mandature a à son actif des réalisations, des succès.  Josepha Giacometti à la culture a très bien assuré sa tâche sans aucune espèce de favoritisme , en tout cas à ma connaissance. Et je suis convaincu qu’Antonia Lucciani fera de même. Les « nationalistes » ne sont pas épouvantails à repousser, ce sont des gens compétents avec qui il faut travailler. Je ne peux juste pas m’associer à une démarche sous la bannière « nationaliste ». Je pense que le premier travail est un travail de reconnaissance que j’ai détaillé ici que je vous invite à découvrir. Si je rejette Le Nationalisme, je ne rejette pas le travail et les positions des nationalistes. Je pense simplement, comme pour le communisme et autres notions du 20 ème siècle, que les encourager à abandonner ce terme pour se consacrer à l’autonomie, serait bien plus bénéfique.

 

 

5 CONCLUSION

C’est ce qui a plombé I verdi  depuis ses débuts : un sous-marin nationaliste auxquels une majorité d’écolo comme moi ne peuvent adhérer ! Comment parler de rupture, de changement de système et continuer avec les mêmes principes d’appartenance nationale ? impossible pour moi. Que ceux qui se sentent nationalistes rejoignent l’un des mouvements actuels, les propositions sont nombreuses et intéressantes. Et ils apporteront une touche écologique à leur programme. 

Ca sera sans moi évidement. Ou alors se créé un mouvement de solidarité, anticapitaliste, qui a le courage d’affirmer sa rupture avec le nationalisme, qui revendique le droit du sol ; la communauté de destin autour de l‘insularité. Le partage de la terre. L’installation de jeunes agriculteurs d’où qu’ils viennent ; la défense d’une langue et d’une culture.

Et plus d’autonomie.  Car on peut être de gauche et autonomiste, il n’y a rien d’incompatible à cela. Mais de gauche et nationaliste personnellement je ne le peux pas. Ou en tout cas je lirais avec plaisir les arguments qui me feront changer d’avis.  Pour ce qui est de la culture, de l’histoire, du patrimoine, de la langue, je tente sans cesse d’expliquer la différence entre droit et devoir.  C’est fondamental Et à ne pas confondre. Les droits doivent rester égaux entre citoyens. Le devoir de mémoire, pour l’histoire particulière de la Corse, son passé, sa culture, la colonisation, l’oppression, etc. est un travail à effectuer en parallèle. Mais il ne donne pas de priorité aux citoyens d’un même endroit. La priorité nationale ? Au nom d’un passé ? D’une nostalgie ? Pas pour moi.

Si un mouvement dans cette direction naissait , j’y aiderais, et il rassemblera probablement des voix de progressistes et de citoyens de gauche.

 

 

Article : de la reconnaissance : http://www.grainsdesable.org/2021/01/31/reconnaissance/

 

Ioanna Kuçuradi philosophe turque.  https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-               

 

Pour info lire : Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité  –

Eric Hobsbawm 2014-1-page-5.htm ,

Dont voici trois extraits :

 

 

Bien des fois, ces mouvements nationalistes semblent être des réactions de faiblesse et de peur., des tentatives d’érection de barricades destinées à tenir à distance les forces du monde moderne …..

 

Citant Georg Simmel (l’un des fondateurs de la sociologie)

« Les groupes, et surtout les minorités, qui vivent en conflit… rejettent souvent les contacts avec autrui, ou la tolérance. La nature fermée de leur opposition, sans laquelle ils ne peuvent continuer à lutter, serait brouillée…Au sein de certains groupes, la sagesse politique exige que l’on s’assure de la réalité de quelque ennemi, afin que l’unité de ses membres soit effective et que le groupe reste conscient de l’importance vitale pour lui de cette unité. »

 

Et en conclusion à son livre : 

Comme je l’ai suggéré, nations et nationalisme ne sont plus des termes adéquats pour définir, et encore moins pour analyser, les entités politiques proposées sous ces termes, ni même les sentiments qu’ils recouvraient jadis. Il n’est pas impossible que le nationalisme décline en même tant que l’État-nation, sans lequel être anglais ou irlandais ou juif, ou une combinaison des trois,  n’est qu’une façon dont les gens définissent leur identité, parmi beaucoup d’autres qu’ils utilisent selon les circonstances. Il serait absurde de prétendre que ce jour est déjà proche. Cependant, j’espère qu’on peut au moins l’envisager. Après tout, le fait même que les historiens commencent enfin à progresser dans l’étude et l’analyse des nations et du nationalisme laisse entendre que, comme souvent, le phénomène a dépassé son zénith. La chouette de Minerve qui apporte la sagesse, disait Hegel, prend son envol au crépuscule. Qu’elle tournoie à présent autour des nations et du nationalisme est un bon signe.

 

Une réponse à « NATIONALISME »

  1. Merci et Bravo Laurent pour cet engagement courageux. Parce qu’il faut du courage pour dire ses vérités aux nationalistes, au pouvoir. Si l’on considère le seul problème de la gestion des déchets, qui devait ou non crédibiliser l’élection des nationalistes, il faut bien reconnaître là un échec crucial, déterminant même dans la mesure où il oriente tous les autres problèmes connexes. La Corse et les corses ne peuvent pas se passer des forces vives d’où qu’elles viennent surtout quand elles sont de bonne volonté. Moi j’ai toujours rêvé d’une Corse terre de possibles, expérimentale en matière d’écologie (parce que c’est possible bien sûr, il y a ici tous les ingrédients pour réussir), de gestion des forêts, de qualité de vie, d’accueil des gens de bonne volonté et donc de tourisme. Il me semble plus intéressant de lutter pour construire un pays exemplaire sur les plans écologique, social, économique… plutôt qu’à toute force lutter pour un pays indépendant mais sans perspective autre que cette même indépendance.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *