Je sors d’une semaine de projection dans des classes d’école. J’arrive les mains dans les poches, avec dans ma poche justement une clé USB . Elle mesure quelques centimètres, pèse quelques grammes. Elle peut contenir jusqu’à 80 GO d’images. Mon film en fait à peine 5. Je la banche en arrivant , la minute d’après, sur un tableau numérique, l’héritier de notre tableau noir, un tableau blanc en l ’occurrence, le film passe avec son et image.
Comme je le connais un peu par coeur mon film, mon esprit vagabonde.. sur d’anciens temps.
Ma découverte de l’image (animée) s’est faite autour de mes 7/8 ans , lorsque ma mère ramenait pour mon anniversaire un projecteur, et nous passait aux copains de l’école, à mon frère et moi, des Rintintin, Tex Avery, etc. Quel format ? Peut être du 16 mm. Ou alors les dernières bobines de 9,5mm qu’a évoqué Jacques Demy lorsque je l’avais interviewé pour mon premier documentaire. Sincèrement , je n’ai pas connu et je le regrette car la particularité de cette pelloche était d’avoir la perforation au milieu ! Incroyable. Jacques s’en servait en 41 , je ne sais pas quand le format a disparu.
Ensuite , à l’âge de 15/16 ans, j’ai véritablement commencé ma passion pour l’image par une relation étroite avec la photo argentique: des nuits dans une petite chambre avec mon agrandisseur Krokus, à tirer d’après mes négatifs des tirages papiers sur 24×30, papier Ilford, mat, contraste dur. J’écoutais Macha Beranger sur Inter , j’y passais la nuit , ça sentait le révélateur et le fixateur, et j’allais me coucher vers 3H du matin heureux et les yeux en grenouille.
Ensuite j’ai bossé au montage à Boulogne Billancourt . C’était du 35 mm, double bande. Double bande ça veut dire que vous avez une pellicule image et sur une bande magnétique du même format , le son. J’ai numéroté ainsi des km de pellicules tous les 25 cm, puis coupé/ collé au scotch à l’aide d’une grosse colleuse. C’est cette même pellicule que j’ai retrouvé des années plus tard lorsque j’étais projectionniste à Noirmoutier, au Mimosa. Toujours du 35 mm, avec le son optique sur la bande. Les bobines arrivaient par 3, 4 ou 5 selon la durée, il fallait les mettre bout à bout sur le plateau, lui faire faire un parcours dans le projecteur, avec un peu de mou dans la boucle, et c’était parti , pub, bande annonce, film, démontage de la grosse bobine en petites bobines pour réexpédition.
A cette époque là, à titre personnel , je m’étais mis au Super 8, 8 mm d’image, les petits boitiers de 3 minutes à envoyer au labo et à attendre le retour, la mini colleuse, les tout petits scotchs. La mini visionneuse. Fallait de bons yeux.
Et puis … et puis… la video a déboulé. A la télé il y avait le 1 pouce , mais je n’ai pas connu: il parait qu’on coupait la bande vidéo comme le 35 aux ciseaux , et zou un scotch. A grande vitesse on a vu arriver la video légère, V8, VHSC, SVHS, HI8! On arrêtait pas de changer de caméra , on ne savait pas où donner de la tête , mais le montage restait compliqué. On nous revendait des espèces de solution au fonctionnement aléatoire, avec grande perte de qualité. Et puis est arrivé le 3/4 de pouce UMATIC, avec la caméra sur l’épaule, un câble et un gros magnétoscope en bandoulière. Petite Révolution avant la grande: le 1/2 pouce, surnommé Betacam, ( puis SP , Digital, etc). Une caméra d’épaule capable d’enregistrer des images de haute qualité. Banc de montage: en location 1500 euros jour. Un cauchemar.
Et puis toutes ces cassettes sont progressivement devenues obsolètes. Le numérique est arrivé, avec des appareils de plus en plus petits, avec de plus en plus de pixels, avec des sensibilités à la lumière de dingue, la carte à puces a tout remplacé, la manière de filmer et de monter aussi, c’était plus facile, moins cher, on pouvait tourner beaucoup plus, essayer plus de pistes au montage , et puis finalement tout faire à la maison.
Pour projeter un film, vous envoyez un lien de téléchargement et le projectionniste le charge. Vous êtes chez vous, vous voulez regarder un vieux Marx Brother, la dernière palme d’or? Vous avez accès au VOD.
Facile.
Bilan en terme de qualité.? Ma foi…. Tout cela a certainement rendu plus accessible l’image et le cinéma à des gens qui auraient eu du mal sinon à en faire. Par contre on n’ a pas assisté à une explosion qualitative. Nanouk l’esquimau reste un chef d’oeuvre du documentaire quelque soit les progrès fait ensuite ou les difficultés de l’époque. Je n’ai pas de nostalgie des grosses boites de pelloche à transborder, à envoyer par transporteur, des films qui n’arrivaient pas, des pelloches qui se déchiraient à force d’être recollées, de l’ampoule qui pète en plein milieu de la projo. Tu envoies ton disque dur à un cinéma avec un DCP dedans, 4K son stéréo, tu vois ton film, il est beau . Pas de nostalgie.
Juste en fait de me trouver content d’avoir traversé cette espèce d’épopée de l’image. Ça m’a permis d’apprendre « différemment », aussi bien quand je filme que quand je monte. Je sais que ces différentes époques de pellicule sont restées en moi, non pas en termes de regrets, mais d’apprentissage, elles ont tissé mon lien à l’image. (…)
Ah! la projection aux élèves est terminée, je vais répondre aux questions.
Ça , ça n’a pas changé, ça reste quand même le meilleur moment, quelque soit le support.
De l’histoire, ce qui marque c’est la rapidité des changements en un temps si court.
De la passion, c’est une évidence…