Je résume?
Alors il y a les babas, les intellos, les bobos, les parigots, les néo-ruraux, les pinzutti, les corsicos, les natios, les musulmans, les juifs, les chrétiens, les intégristes, les anti vaxx, les collabos, les colons, les moutons, les macroniens, les complotistes, les fascistes, les identitaires, les noirs , les blancs, les homos, les transgenres, les révolutionnaires, les anarchistes, les réactionnaires, etc. Comme quelques uns le savent, surtout s’ils ont lu « les identités meurtrières » d’Amin Maalouf, on peut tout a fait être plusieurs de ces mots en même temps. Parfois nous décidons selon les circonstances d’être « plus » d’un mot que d’un autre.Maalouf l’explique très bien avec l’histoire récente de la Yougoslavie. Parfois ces sont les circonstances qui vous obligent à être « plus » d’un mot que d’un autre et à en supporter les conséquences. Par exemple « juif » en 40 n’a pas la même importance qu’aujourd’hui. Ou « protestant » en 1572 à Paris comparé à aujourd’hui aux Etats Unis. Toujours est-il qu’on en est revenu à se balancer des mots génériques à la tête, des mots qui avaient des sens , des définitions, et qui semblent s’être vidés des deux. Ils servent d’armes, d’outils, à rejeter. La réduction de la pensée a amené aussi à fixer sur un seul élément l’identité de « l’autre », cette espèce de crétin qui n’est jamais d’accord avec moi, souvent à cause de son égo à lui. Evoquer la multiplicité des identités, la complexité du monde est de la pensée, vous fait immanquablement appartenir à une des cases énumérées plus haut. L’impasse n’est pas que sanitaire. Le virus ne circule pas qu’à l’extérieur. Il est à l’intérieur de nos pensées et a rongé en profondeur les pactes fondamentaux qui cimentaient le vivre ensemble. La société dans laquelle j’ai grandi, dans laquelle j’ai été élevé, s’est effondré à une vitesse incroyable.
Je repense alors à un autre livre d’Ain Maalouf, tout aussi beau : « Origines ». Il y fait récit de l’effondrement de l’empire ottoman, et du choc vécu par ses ancêtres de la disparition d’un monde entier dans lequel ils croyaient, mais surtout dont ils ne pouvaient pas soupçonner la disparition. Je me rends compte de vivre un état similaire, même s’il est toujours plus compliqué de l’analyser lorsque l’on est « dedans », qu’un siècle plus tard . A une vitesse impressionnante, un monde , une société a disparu. Elle était faite de citoyenneté, de services publics, de partis politiques, de syndicats, de réaction collective, d’intellectuels brillants , de participation électorale, de solidarité, de pluralité d’opinions, et de liberté d’expression, de contre pouvoirs, etc. En gros d’un projet de société avec la démocratie comme centre et espace de débat. Il n’en existe plus. Le capitalisme moderne, ses grandes entreprises, le tout numérique ont tout balayé en quelques 20 années. Est ce vrai ? Je ne sais mais c’est mon ressenti, et comme on le sait avec la température, ce qui est important ce n’est pas le froid mais le froid « ressenti ». Et bien je « ressens », la perte d’un monde, et comprend être en état de choc car je n’avais pas soupçonné sa disparition si rapide. Sidéré. Et je comprends que mes réactions, mes attitudes, mes propos, mes moyens d’action, appartiennent sans doute à un ancien monde, dans lequel je m’efforce encore de croire , alors qu’il a déjà disparu.