Remplacer Haiti par la Corse.

La force de l’imaginaire

Découvrir de nouveaux poètes, de nouvelles pensées..  Se laisser surprendre. Découvrir. S’étonner.

Au hasard d’un aller et retour à Bastia, l’écoute d’une émission de France culture « Des paysages et des visages, le voyage intellectuel de Felwine Sarr » dans le cadre de l’émission LA GRANDE TABLE IDÉES par Olivia Gesbert m’a fait découvrir des personnes passionnantes en cascade. Du genre qui donnent envie une fois rentré d’aller plus loin, d’aller chercher ce qu’ils ont écrit, de commander leurs livres, de s’y plonger. Est-ce rare ? Oui et non. Fréquent en fait lorsqu’on bouge, qu’on se déplace, en tout cas c’est mon point de vue d’îlien. Et c’est amusant car c’était l’un des sujets abordés*  par l’invité du jour.

Trois grands noms dont j’ignorais tout et tout d’abord, Felwine Sarr qui vient d’écrire  « La saveur des derniers mètres » où il cherche à repenser notre manière d’habiter le monde et redéfinir la relation entre l’Afrique et les autres continents. Il est le fondateur des Ateliers de la pensée de Dakar. Chaque année, des intellectuels et artistes s’y rencontrent lors d’un festival des idées transdisciplinaire pour “repenser les devenirs africains”. C’est que Felwine est écrivain, professeur d’économie et musicien. Et je ne sais pas pourquoi mais l’interdisciplinarité m’a toujours fasciné.

Dès le début de l’émission, il est cité Lyonel Trouillot come personnage majeur rencontré par l’invité lors de son festival. L’émission faite avec lui vous fera découvrir les talents de cet écrivain poète et romancier haïtien. Et puis de fil en aiguille on en arrive à une intervention enregistrée de  Frankétienne,   poète, dramaturge, peintre, musicien, chanteur et enseignant haïtien.

Et voilà un extrait choisi que je me suis empressé de retranscrire :

 « Haïti  n’aura son  salut qu’à travers  la créativité plurielle,  la peinture ,la sculpture la danse, la musique, la littérature, le conte, les nouvelles….  et Haïti pourrait devenir la république des arts parce qu’il y a tellement de créateurs chez nous . Et si on faisait cet inventaire,

Haïti pourrait bien, Compte tenu de l’exiguïté de son territoire, ses 28 000 km², pourrait bien être parmi  le « top Ten » comme on dit  et pourquoi pas faire partie des trois plus grandes productrices d’œuvre d’art.

Et celui-là qui l’aurait fait , que ce soit le président ou n’importe qui , il serait devenu le Périclès**  des temps modernes . Haïti  pourrait même être une terre de référence pour pas mal d’autres pays dans un contexte où il y a un effondrement général , parce qu’on a cessé de croire à la culture, on a cessé de croire aux grandes vertus de l’esprit . Il y a l’énergie spirituelle qui est le seul carburant, qui fait marcher l’âme humaine

Et là nous sommes en panne d’imaginaire et ce n’est pas seulement Haïti qui est menacée

C’est toute la planète qui est menacée ».

Évidemment cela fait plaisir à entendre.. Le propos n’est pas haïtien mais universel. Et ici il résonne évidemment d’un autre son. Car si vous remplacez Haïti par la Corse, le sens reste le même. L’importance de nos artistes, aux grandes vertus de l’esprit, cet aveuglement à ne pas voir nos propres richesses, à ne pas avoir confiance en elle. Un vrai bonheur, et mon article est une invitation à aller lire ou écouter n’importe lequel de ces grands bonshommes.  

Plus loin dans l’émission, avec Felwine Sarr, il évoque d’autres phénomènes passionnants comme cette urgence du mouvement, du déplacement. J’ai toujours pensé que cela était nécessaire, sans doute depuis la lecture à 17 ans de « Bourlinguer » de Blaise Cendrars, mais après 15 ans de vie sur l’ile de Noirmoutier et 20 ans en Corse, j’ai toujours pensé que l’insularité invitait d’autant plus au voyage, à la découverte à l’extérieur. Et personnellement ça ne rate pas : à chaque déplacement j’en ramène quelque chose, de nouveau , d’original.

L’un des thèmes de Felwine tourne également sur la profondeur du préjugé. Il prend un exemple récent et si vrai : la crise du Covid en Afrique et le faible nombre de morts. Unanimement le monde blanc occidental va dire : « pas normal, tricherie sur les chiffres, pas de tests, pas encore mais ça va arriver, particularité génétique, etc. » Personne pour penser sérieusement :  l’Afrique a su gérer, anticiper, se prémunir, faire bien. Intéressant non ?

.

* « Goûter à la saveur du monde est un droit qui doit être équitablement réparti. Il faut considérer la mobilité comme un droit fondamental. »

« Voyager permet d’avoir un regard en biais, en relief, à la fois en dedans et en dehors. »  

« Appartenir à une île, c’est devoir la quitter. »

 (Felwine Sarr)

** Périclès :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Périclès